Traumatismes intergénérationnels : qui est le plus concerné ?

1 personne sur 3 issue d’une famille marquée par la violence collective présente, aujourd’hui encore, des symptômes liés à un traumatisme qu’elle n’a pas vécu. Les chiffres, implacables, dépassent largement le cercle des victimes directes. Les générations suivantes paient le prix fort, bien après la fin de l’événement déclencheur.

Comprendre les traumatismes intergénérationnels : origines et mécanismes

Le traumatisme intergénérationnel ne relève pas d’une rumeur ou d’un simple fait divers oublié. C’est un mécanisme complexe, où des blessures émotionnelles, psychologiques ou physiques franchissent la barrière du temps et se transmettent, presque silencieusement, d’une génération à l’autre. Plusieurs chemins se recoupent pour expliquer cette persistance. Parmi eux, la transmission épigénétique questionne les scientifiques : l’environnement, le stress ou la peur influencent l’expression de certains gènes, sans toucher à leur séquence. Chez les enfants de survivants de l’Holocauste ou des famines, des études révèlent que le corps conserve, d’une façon inattendue, des traces des traumatismes vécus par les générations précédentes.

La science ne suffit pourtant pas à tout éclairer. La vie quotidienne joue un rôle aussi déterminant : la transmission comportementale. Un enfant grandit dans l’inquiétude ou la vigilance excessive de ses parents : il adopte leurs peurs, leurs réflexes sans même en prendre conscience. L’atmosphère à la maison, la façon de réagir face aux événements, deviennent des croyances et des habitudes qui façonnent l’enfance et perpétuent certains schémas.

Un autre vecteur, enfin, est la transmission psychologique et émotionnelle, rendue visible par ce qui ne se dit pas. Les secrets de famille pèsent lourd, les silences s’accumulent, les tabous s’installent. L’omission devient une constante, l’incertitude s’invite dans chaque dialogue et l’angoisse se propage, diffuse, jusqu’aux plus jeunes.

Pour distinguer les dynamiques principales en jeu, voici les mécanismes de transmission les plus étudiés :

  • La transmission épigénétique : l’environnement et le stress influencent l’expression génétique, ce qui impacte la santé et le vécu des générations suivantes.
  • La transmission comportementale : un enfant assimile, souvent à son insu, les attitudes et réactions de ses parents.
  • La dimension psychologique : les thèmes évités, les non-dits, les histoires partielles instaurent une ambiance familiale marquée par l’incertitude.

Ce sont ces entrelacs de facteurs qui expliquent pourquoi, parfois, la douleur perdure très longtemps après la disparition des acteurs de l’évènement initial.

Qui sont les plus exposés ? Groupes, profils et facteurs de vulnérabilité

Le traumatisme intergénérationnel ne frappe pas avec la même force dans toutes les familles. Certaines populations entières restent durablement marquées par la guerre, l’esclavage, les génocides, les déplacements forcés, la discrimination ou le racisme. L’histoire collective laisse ici des empreintes profondes, parfois invisibles à l’œil nu, mais puissamment agissantes.

Dans la sphère privée, les parents qui ont traversé la violence, connu la précarité, la persécution ou les abus transmettent, parfois malgré eux, un fardeau qu’ils n’ont jamais pu déposer. Les enfants absorbent l’inquiétude, la retenue des émotions, ou le silence : ils héritent de peurs, de comportements, ou de troubles qu’ils peinent à déchiffrer. Parmi les exemples, on retrouve les descendants de personnes ayant survécu à une guerre ou à l’exil, ou nés dans des familles ayant subi une exclusion sociale ou raciale.

Parfois, les difficultés s’accumulent : pauvreté, isolement, manque de soutien, répétition des épreuves, absence de reconnaissance face à la souffrance. Dans ce contexte, la cellule familiale elle-même prolonge la détresse, et les enfants portent la marque de ces épreuves, qu’ils n’ont pas choisies.

Pour mieux dresser le portrait des situations à risque, on peut repérer plusieurs profils :

  • Groupes le plus souvent concernés : descendants de victimes de conflits violents, d’esclavage, de génocides, de migrations massives, ou de discriminations sociales et raciales.
  • Profils à risque : familles marquées par la violence, l’exil, l’exclusion, où les traumatismes des adultes n’ont pas été accompagnés ou reconnus.
  • Facteurs aggravants : isolement, précarité, absence de reconnaissance ou de réparation, climat de silence et d’opacité autour de l’histoire familiale.

Transmission silencieuse : comment le traumatisme traverse les générations

Dans l’espace familial, le traumatisme intergénérationnel s’infiltre sans un mot, mais ses manifestations sont concrètes : gestes empruntés, peurs à fleur de peau, mutisme soudain… Les recherches en épigénétique montrent que le stress, la privation ou la violence subie par les parents peut modifier l’expression des gènes chez leurs enfants, ou même petits-enfants. Cette réalité apparaît par exemple chez les enfants de déportés ou ceux dont l’histoire familiale a été bousculée par une catastrophe.

La reproduction des comportements en constitue un autre levier insidieux. Un enfant évoluant dans une demeure où les éclats de voix sont absents, où la peur semble la règle, va naturellement calquer ces codes. Les neurones miroirs prennent ici leur place : ils favorisent la reproduction involontaire de réactions et de ressentis parentaux. Les zones d’ombre de l’histoire familiale, les histoires éclipsées, les récits toujours tronqués installent au fil du temps une tension diffuse, difficile à nommer.

Les effets se manifestent de multiples façons, en particulier :

  • anxiété permanente
  • dépression
  • troubles du sommeil
  • difficultés à nouer ou maintenir des relations
  • image de soi fragilisée
  • tendance à rechercher une échappatoire dans la consommation de substances

La santé mentale autant que la santé physique des générations suivantes en portent l’empreinte. Bien souvent, la souffrance se dévoile sans que l’on fasse le lien avec l’histoire familiale, laissant enfants et petits-enfants, parfois démunis, face à un malaise difficile à interpréter.

Des pistes pour se libérer de l’héritage traumatique et favoriser la résilience

Rompre le cercle des traumatismes intergénérationnels prend du temps, mais les chemins d’apaisement existent. De nombreuses approches thérapeutiques ouvrent de nouvelles voies à celles et ceux qui veulent sortir des répétitions du passé. La thérapie EMDR, par exemple, permet d’alléger durablement la charge émotionnelle des souvenirs transmis. Maria, dont les parents ont fui une guerre civile, en est un exemple : sa démarche thérapeutique lui a permis de réduire ses crises d’angoisse et d’interrompre le cercle anxiogène.

D’autres solutions existent, notamment la psychothérapie, l’hypnose, la thérapie transgénérationnelle ou les constellations familiales, qui invitent à revisiter l’histoire familiale sous un angle inédit. Poser des mots sur ce qui a été tu, ressusciter des fragments de récits, c’est donner à chacun la possibilité de se réinscrire dans une histoire familiale plus cohérente. Le dialogue intergénérationnel longtemps repoussé, se révèle décisif : il s’agit d’être à l’écoute, d’accueillir le passé, de lever les tabous, et de libérer enfin une parole restée trop longtemps cachée.

Les travaux des chercheurs montrent aussi l’importance d’un environnement familial imprégné de bonté, d’affection et d’attention. Un climat bienveillant allège le poids du stress hérité, stimule la capacité de résilience et autorise chacun à revisiter les héritages familiaux pour en faire un socle, plutôt qu’une entrave. Ce qui, hier, ressemblait à une fatalité, devient parfois le point de départ pour une trajectoire inédite.

Finalement, s’attaquer à l’héritage traumatique consiste à accepter de regarder ce qui s’est inscrit dans l’ombre, et à choisir, en pleine conscience, ce que l’on décide, ou non, de transmettre. On avance alors sur une ligne ténue : celle où l’histoire familiale ne dicte plus le scénario, mais inspire l’écriture de nouveaux chapitres.

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